Les Larmes d'Isha by Darius Hinks

Auteur:Darius Hinks
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Black Library
Publié: 2014-02-15T00:00:00+00:00

CHAPITRE DOUZE

Ordaana était allongée dans le noir, assoupie entre les racines d’un arbre, imaginant que des mouches lui parlaient. Leur verbe était aimable, lénifiant et susurrant.

— Ankylostomes, de quinze espèces, émergeant des chairs des capsules articulaires. Vers ronds, de douze espèces, couvrant les parois muqueuses. Infestations mineures de vers rongeurs, de ténias, de zeaspores, de petite vérole, de langue velue et de champignons pulmonaires. »

Elle ignora les mouches, errant fort son enfant pour la réchauffer et tentant de replonger dans le néant bienheureux du sommeil.

Les propos bourdonnants se poursuivirent, dressant une liste exhaustive de toutes les maladies et infections fongiques possibles. La voix était tellement léthargique qu’Ordaana aurait pu rester endormie sans tous les autres bruits qui l’accompagnaient. Elle entendait aussi des cliquetis tout près, un os frappant le bois à intervalles irréguliers, qui la faisaient tressaillir à chaque fois. Elle ferma les yeux bien fort, mais le son ne s’arrêtait jamais. C’était comme un ongle lui tapotant le crâne. Et au loin, elle entendait autre chose, tout aussi discordant : un son métallique, sourd et répétitif, comme deux poêles frappées l’une contre l’autre. Les bruits combinés produisaient un vacarme tellement exaspérant qu’elle s’avoua vaincue et ouvrit les yeux pour fusiller du regard les insectes.

— Pourquoi ne me laissez-vous pas dormir ? »

Les nuées sans fin de mouches étaient là, bien sûr, mais elles ne parlaient pas. Son interlocuteur était un serviteur d’Alkhor, un de ses laquais murmurants au pas traînant. Quand elle leur avait demandé, d’un air dégoûté, ce qu’ils étaient, Alkhor lui avait dévoilé le nom que les humains leur donnaient, en trouvant visiblement cela très drôle. Les humains les appelaient donc les comptables, avait-il expliqué, du moins, quand ils vivaient assez longtemps pour les qualifier de quoi que ce soit. Celui-là se tenait au-dessus d’elle, tripotant une baguette et un boulier de phalanges. Comme tous les rejetons d’Alkhor, il était vaguement humanoïde, mais doté d’un ventre hypertrophié, d’une paire de jambes ridiculement fuselées, d’une défense jaillissant de son crâne et d’un gros œil de cyclope enfoncé au milieu du front.

« Ganglion, » marmonna-t-elle.

Ordaana aurait préféré ne pas appeler ce genre de créature par son prénom, mais son don le rendait reconnaissable entre tous. Il lui avait expliqué, avec fierté, qu’Alkhor lui avait conféré la bénédiction de la vérole sanguine. Ses hémorragies sous-cutanées permanentes lui donnaient la couleur de la chair fraîche. Le rouge foncé contrastait sérieusement avec son œil, une poche jaunâtre parcourue de grosses veines et suintant d’un flot permanent de pus.

— D’infinitésimales particules de nez blanc, d’œil gras et de foie mou, » dit-il, penché si près qu’elle voyait les charançons cavaler sur sa langue noire.

Ordaana gémit et recula, réprimant le haut-le-cœur qui menaçait de la submerger quand elle ne dormait pas. La chose parlait une langue si vile et répugnante qu’elle lui en écorchait les oreilles, mais Alkhor l’avait maudite en lui donnant le pouvoir d’en comprendre chaque mot.

« Les tendons ont éclaté en trente-sept endroits, censeur, » dit Ganglion, qui se servait de sa baguette pour sonder un bout de viande, près des pieds d’Ordaana.

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